Sommaire

I – Un champ d’application incertain

A – La variation de l’étendue du champ d’application

1 – L’application constante de la détachabilité en matière contractuelle

2 – L’application fluctuante de la détachabilité dans les autres matières

B – L’imprécision du champ d’application au sein de la matière contractuelle

1 – Une imprécision relative aux mesures d’exécution du contrat

2 – Une imprécision relative à la décision de résiliation du contrat

 II – Des critères de détermination introuvables

A – L’admission rarement motivée de la détachabilité

1 – L’admission explicite

2 – L’admission implicite

B – Le refus vaguement motivé de la détachabilité

1 – L’argument englobant de l’existence de recours parallèle

2 – Le motif abstrait tenant à la finalité pécuniaire de la requête

 

 

Il existe une espèce de notions juridiques qui « servent au juge, elles lui permettent d’accomplir sa mission de justice à l’heure où les faits en font apparaître la nécessité »[1]. Cette remarque d’Eugène Desgranges fait penser à tous ces moyens conceptuels mis à la disposition du juge administratif ou inventés par lui dans l’optique « d’adapter le jeu, parfois trop rigoureux, de critère de compétences »[2]. La rigidité des règles de compétences affecte davantage l’action du juge de l’excès de pouvoir. Ce dernier bénéficie, en effet, d’une sorte de compétence résiduelle. Dans le contentieux administratif, le recours en annulation n’est admis que lorsqu’il n’existe pas une voie juridictionnelle parallèle[3] qui permettrait au requérant de faire valoir ses droits. En outre, au-delà du contentieux administratif, le contrôle de certains actes administratifs unilatéraux, qui aurait pu relever du recours en annulation, est soit confié à un autre juge – par exemple, le juge électoral[4] –, soit banni, en l’occurrence dans le cadre des actes de gouvernement. Le champ de compétence du juge de l’excès de pouvoir est ainsi délicatement circonscrit. Parallèlement, le contentieux de l’annulation est érigé en pierre angulaire du contrôle de légalité[5]. Par sa finalité, le recours pour excès de pouvoir constitue symboliquement la manifestation la plus aboutie de la réalité de l’état de droit. Siège d’une compétence voulue résiduelle d’un côté, et objet de grands espoirs pour l’effectivité du principe de légalité de l’autre, le contentieux de l’annulation est, à cet effet, enserré dans une situation paradoxale. L’expérience a cependant montré que ce cloisonnement n’a pas pu résister à l’ingéniosité et à l’activisme du juge de l’excès de pouvoir qui s’est attelé à redéfinir progressivement et discrètement les contours de sa compétence afin de l’adapter aux exigences de sa haute mission. Cette prise de liberté avec la rigidité des règles de compétences se réalise à travers un dispositif de politique jurisprudentielle dont l’une des pièces maitresses est la théorie des actes détachables.

La détachabilité constitue en ce sens un instrument commode dont le juge administratif « s’est opportunément servi pour promouvoir son contrôle dans des zones de l’ordre juridique qui risqueraient d’échapper au célèbre recours pour excès de pouvoir »[6]. Elle a permis d’établir des passerelles dans le système rigide des blocs de compétences juridictionnelles au profit du contentieux de l’annulation. Avec la technique de la détachabilité, certaines matières relevant a priori de la compétence d’un autre juge ou pouvant être classées dans les domaines échappant à tout contrôle juridictionnel sont reversées dans le champ du contentieux de l’excès de pouvoir. En d’autres termes, la détachabilité « est un outil technique contentieuse […] que le juge utilise pour adapter et pour assouplir le jeu des critères légaux et jurisprudentiels concernant l’accès à la juridiction administrative »[7].

[1] E. Desgranges, « Préface », in L. Dubouis, La théorie de l’abus de droit et la jurisprudence administrative, LGDJ, 1962, t. 45 ; cité par G. Darcy, « Les variations sur l’acte détachable du contrat », in Contrats publics, Mélanges en l’honneur du Pr Michel Guibal, Vol. 1, Montpellier, CREAM, Presses de la Faculté de droit de Montpellier, 2006, p. 507.

[2] H. Charles, « Actes rattachables » et « actes détachables » en droit administratif français : contribution à une théorie de l’opération administrative, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit public », t. LXXX, 1968, p. 2.

[3] V. A. Bockel, « La Cour suprême et l’exception de recours parallèle. Note sous l’arrêt Souleymane Cissé rendu par la Cour suprême le 12 juillet 1972 », Annales africaines, 1971-1972, pp. 167-175 ; J. Tercinet, « Le retour de l’exception de recours parallèle », RFDA, 1993, pp. 705-720.

[4] V. D. F. Meledje, « Le contentieux électoral en Afrique », Pouvoirs, 2009/2, n° 129, pp. 139-155, spéc. p. 149 et s.

[5] C’est tout le sens d’ailleurs de la jurisprudence Dame Lamotte (CE, 17 février 1950) à travers laquelle le Conseil d’État français a décidé que le recours pour excès de pouvoir est possible, même en l’absence de texte le prévoyant. V. « Le caractère de droit commun du recours pour excès de pouvoir », in J-F. Lachaume et al., Droit administratif. Les grandes décisions de la jurisprudence, PUF, 16e éd., 2014, p. 636 et s.

[6] F. Moderne, « Préface », in B-F. Macera, Les « actes détachables » dans le droit public français, Presses universitaires de Limoges, coll. « Droit public », 2002, p. 15.

[7] B-F. Macera, Les « actes détachables » dans le droit public français, Presses universitaires de Limoges, coll. « Droit public », 2002, p. 103.


L’intégralité de la contribution

Ferdinand Diène FAYE

Docteur en droit public Enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

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