En Afrique, le droit du travail a été le fruit d’une longue évolution. Pendant une bonne partie de la période coloniale, il n’y a pas eu de véritable législation du travail. La traite des nègres et le travail forcé étaient même une négation du droit du travail. Les premiers textes significatifs relatifs au droit du travail ne seront adoptés qu’à partir des années trente et, surtout après la seconde guerre mondiale, sous la pression des travailleurs. Comme l’a écrit Martin Kirsch, « la plupart des textes avaient pour finalité l’organisation du recrutement de la main-d’œuvre et accessoirement sa protection » [1]. .

Dans les pays francophones, il a fallu attendre le Code du travail des territoires d’Outre-mer de 1952 pour doter les colonies d’une véritable législation du travail relativement protectrice. Dans les colonies anglaises et belges, chaque territoire a été doté d’un texte spécifique plus ou moins inspiré des textes métropolitains, toujours après la seconde guerre mondiale.

Après les indépendances, chaque pays s’est doté d’un code national qui était presque une copie du texte colonial notamment en ce qui concerne la philosophie des relations de travail. Malgré des évolutions nationales souvent significatives, cette référence initiale a engendré des écarts entre droit et fait. En outre, le droit du travail dans les pays africains est aujourd’hui confronté à de véritables défis.

I- Les écarts

Deux types de décalage, de nature profondément différente, sont observables entre d’une part les conceptions et l’application du droit du travail et d’autre part le contenu des Codes du travail et leur contexte socio-économique.

A/ Conceptions et application du droit du travail

Dans chacun de ces pays africains les relations de travail peuvent être analysées à un double niveau qui correspondent l’un à une conception traditionnelle, un peu décalée par rapport à la réalité et l’autre à une vision plus réaliste du monde du travail.

La première conception considère les relations de travail dans un cadre classique, formel, presque officiel, qui fait référence au secteur formel où agissent les partenaires sociaux à travers les négociations collectives, et l’action revendicative soutenue par une mobilisation des adhérents (protestations, grèves,…). En fait dans les pays africains, cette forme de relations de travail ne concerne qu’une minorité des travailleurs en l’occurrence les salariés des villes.

Le deuxième modèle des relations de travail correspond davantage aux réalités africaines dans la mesure où il déborde du cadre étroit des salariés du secteur moderne pour embrasser l’ensemble des travailleurs des secteurs formel et informel, des villes et des campagnes, qu’ils soient salariés ou indépendants (artisans, agriculteurs), permanents ou saisonniers.

Les codes du travail, presque toujours inspirés des anciennes législations coloniales ne tiennent compte que du modèle classique des relations de travail, plus proche des réalités des pays du Nord, bien que la situation ait largement évolué même dans ces pays avec la montée du chômage, de l’exclusion et de nouvelles formes de travail notamment le travail à temps partiel et le travail à domicile .

Il est vrai que théoriquement les codes du travail s’appliquent à tout travail salarié indépendamment du secteur d’activité qu’il soit formel ou informel. Mais, le formalisme excessif imposé par des textes inadaptés au contexte africain, ajouté à l’insuffisance notoire des Administrations du travail sur le plan logistique et organisationnel, ont eu pour conséquence que l’essentiel du monde du travail échappe en pratique à la législation du travail. De fait, le secteur informel reste une zone dominée par ce que les sociologues du droit appellent l’infra-droit, c’est à dire un droit déprécié [2].

En réalité, ceci est le produit d’une compétition sourde entre code du travail, coutumes et usages. Il y a comme un effet de glissement imperceptible mais progressif du droit moderne vers le secteur informel et un retrait parallèle du droit traditionnel vers des micro-sociétés rurales marginalisées par le processus de modernisation économique. Mais, le mouvement est si lent, les résistances si fortes qu’on a l’impression que le secteur informel est refoulé dans le non-droit. Les acteurs (travailleurs et employeurs) se sentent en effet tellement en dehors du champ de compétence des codes du travail que les quelques infiltrations du droit moderne ne peuvent apparaître que comme quelque chose de pathologique. En effet, les quelques dispositions des codes modernes qui s’infiltrent dans le secteur non structuré sont tellement détachées de leurs sources, tellement dégénérées pour pouvoir se greffer aux usages en vigueur dans ces professions, qu’elles perdent beaucoup de leur substance.

Au-delà de ce décalage entre le droit et le fait, il y a lieu de signaler que depuis la fin des années quatre vingt, l’Afrique connaît de profonds bouleversements dans les domaines politique, économique et social.

B/ Codes du travail et évolutions socio-économiques

La libéralisation économique et la privatisation des entreprises publiques engagées dans le courant des années quatre-vingt se sont accélérées avec la conclusion de Programmes d’Ajustement Structurel par la quasi-totalité des pays. C’est certainement le seul domaine où les législations ont évolué pour tenir compte du contexte nouveau, sous l’impulsion des institutions financières internationales dans le cadre des Programmes d’Ajustement Structurel.

Les révisions des législations du travail ont eu pour objectifs essentiels de limiter le rôle de l’État ainsi d’introduire une plus grande flexibilité. Ceci s’est traduit notamment par l’abolition du monopole des services étatiques de placement de la main-d’œuvre, l’élargissement des possibilités de recours à des contrats de courte durée ou de durée déterminée et au travail temporaire et par l’assouplissement des conditions de rupture du contrat de travail. Ainsi, les codes du travail du Mali, de la Côte-d’Ivoire, du Cameroun et du Sénégal contiennent désormais des dispositions régissant le prêt de main-d’œuvre temporaire [3] . La recherche d’une amélioration de la capacité d’adaptation des entreprises à l’évolution du marché a conduit à adopter une des réformes importantes sur les conditions de rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur. Ainsi, au Mali, le Code du travail de 1962 a été modifié par une loi du 23 septembre 1992 supprimant l’autorisation administrative de licenciement. Cette flexibilité accrue dans les procédures de licenciement, introduite quasiment dans tous les pays africains, à la demande des institutions financières internationales, était supposée promouvoir l’emploi. Il faut convenir que les résultats semblent mitigés, voire décevants.

Pendant ce temps, dans biens de domaines, les codes ne reflètent pas l’évolution de la situation économique et sociale. En matière de durée du travail et d’organisation des horaires de travail, par exemple, le monde du travail se caractérise par une prédominance des activités extra salariales (maraîchage, artisanat,etc.)
en dehors des heures de travail pour procurer un complément de revenus aux travailleurs. En étudiant le cas des ouvriers natifs du monde rural qui travaillent dans les usines au Mali, Alain Maharaux [4] a relevé que le travail à l’usine permet au salarié d’acquérir du matériel agricole. Il qualifie ces salariés d’ouvriers – paysans qui sont reconnaissables dans les champs à leur tenue bleue d’usine qui ne les quitte pas. Dans les entreprises qu’il a étudiées au Mali, il relève que « la vie professionnelle n’est pas liée uniquement à l’usine ; presque tous ont leur activité secondaire (culture, jardinage, petite confection, petit commerce, mécanique, réparation automobile) » [5]. Dans l’entreprise COMATEX de Ségou, Maharaux a relevé que l’importance de cette activité secondaire est telle qu’il est difficile de trouver du personnel pour les quarts de nuit, cela ne correspondant pas non plus au rythme de vie habituel.

Dans ces conditions, un aménagement conséquent des horaires de travail serait à cet égard fort appréciable pour les travailleurs. Ce serait d’ailleurs conforme au droit traditionnel africain dans lequel la durée du travail qui varie de 8 heures à 10 heures est peut être relativement longue mais souple. Parce que les relations de travail coutumières sont fondées sur la confiance réciproque, la solidarité et un certain code d’honneur, cette souplesse permettait au travailleur de pouvoir se soustraire aux obligations contractuelles pour des motifs sociaux sans subir une baisse de revenus.

Ce système bien rodé a rarement donné lieu à des abus de la part des intéressés. Ainsi, l’histoire aussi bien que les récentes évolutions des pays africains dans les domaines économique et social interrogent les législateurs qui ne font pas prendre en compte par les codes du travail la culture africaine et même les nouvelles réalités du monde du travail.

II-LES DEFIS

Un premier défi, récurrent, concerne la prise en compte des réalités africaines dans la production du droit du travail. Un second défi doit aujourd’hui être relevé celui des politiques d’ajustement structurel, de la mondialisation et du rôle des acteurs sociaux.

A/ Production du droit et réalités africaines

Dans la théorie juridique classique, les usages sont considérés comme une source secondaire du droit, située bien en dessous des lois, règlements et conventions. Or, le constat a été fait que dans des pans entiers de l’économie africaine, en l’occurrence dans le secteur informel théoriquement couvert par les codes du travail, les relations de travail sont en fait régies par ce que nous pouvons appeler l’infra-droit dont les usages constituent précisément le noyau.

Dans son ouvrage consacré à l’industrie au Mali, Alain Maharaux relève que « les revendications et les discussions des délégués du personnel portent non seulement sur les salaires, mais aussi sur les problèmes sociaux des ouvriers, ou plutôt sur les contingences sociales. Ce sont les mariages, baptêmes, enterrements qui prennent une place si importante dans la vie des maliens. Ainsi à la SONATAM, les ouvriers ont obtenu de former une délégation pour assister aux cérémonies ; deux délégués par section constituent cette délégation, composée de 8 à 10 personnes, qui s’en va sacrifier aux rites sociaux une à trois fois par semaine pendant les heures de travail » [6] . Ceci ne figure nulle part dans le Code du travail.

Une telle situation s’explique par le rejet de textes totalement décalés par rapport à la culture et aux réalités africaines. Perçus non pas comme un moyen de régulation, mais plutôt comme une force de désintégration, les Codes du travail modernes ne sont pas bien reçus par le corps social africain. Le droit n’est rien d’autre que la traduction sur le plan normatif d’une certaine vision du monde. C’est un produit de la société qui ne peut être de portée universelle. La structure d’un droit, les classifications qu’il admet, les concepts et les notions qu’il utilise ainsi que le type de normes sur lesquels il se fonde, devraient être inspirés des réalités culturelles et socio-économiques.

Le sociologue Philippe d’Iribarne a consacré de nombreuses recherches à l’étude des traditions nationales des relations professionnelles et des systèmes de relations de travail [7]. Les concepts de contrat de travail et d’autorité du chef d’entreprise ne sont pas des notions géométriques rigoureusement identiques sous tous les cieux. Dans la culture africaine, le chef d’entreprise est assimilé à un chef tout court, c’est à dire à un bienfaiteur. C’est pourquoi, le travailleur n’hésitera pas à solliciter son assistance même pour des problèmes personnels. Si l’employeur s’en désintéressait, le travailleur pourrait considérer ce comportement comme une violation du contrat de travail. Dans le même ordre d’idées, le travailleur africain comprendrait très mal l’absence de l’employeur lors d’un décès, d’un baptême ou d’un autre événement social le concernant. De même, il considérerait comme totalement injustifiée une sanction pour un retard causé par la survenance d’un événement social majeur.

Comme l’a écrit Martin Kirsch, « Les États francophones d’Afrique disposent donc, chacun, d’un outil législatif moderne de très grande valeur en matière de droit du travail. Certes, il convient de faire pénétrer cet outil, car si le droit du travail est généralement bien appliqué par les entreprises d’une certaine importance et par celles situées dans les centres urbains, il n’en est pas toujours de même dès que l’on s’éloigne de ces centres ou lorsqu’il s’agit de petites entreprises, notamment celles à caractère familial » [8]. En fait, s’agissant même des entreprises modernes, l’analyse de Monsieur Kirsch nous semble très optimiste tant est problématique l’application du droit du travail en Afrique.

Dans la culture africaine, les obligations du travailleur vis à vis de l’entreprise ne sont pas au dessus de ses devoirs vis à vis de la société. Par ailleurs, si en Occident les litiges sont tranchés strictement au regard du droit positif, en droit coutumier africain on tient compte de la situation objective et des besoins de chacune des parties. Appliqué aux relations de travail, ceci est indéniablement favorable aux travailleurs.

Ainsi, la question d’une réforme profonde des législations du travail en Afrique se pose non seulement pour tenir compte des réalités culturelles mais également de l’évolution formidable du contexte économique et social. L’idée que les sociétés africaines se font de la place de l’homme dans l’organisation économique et sociale doit être le fil conducteur d’une telle réforme.

Contrairement à ce qui s’est passé souvent dans les pays africains où les réformes des codes ont été menées quasi exclusivement par des juristes qui ont privilégié les aspects purement techniques, le temps est venu de précéder de telles réformes par de grandes enquêtes so
cio-économiques conduites par des équipes pluridisciplinaires impliquant économistes, sociologues, anthropologues et juristes. Elles pourraient permettre d’aller en profondeur pour saisir les véritables problèmes d’applicabilité des codes du travail. De telles enquêtes pourraient notamment prendre en charge les questions suivantes :

  • le recensement des problèmes spécifiquement africains qui se posent dans les relations de travail et qui ne sont pas pris en compte par les codes du travail d’inspiration occidentale,
  • l’identification des dispositions des codes du travail dont l’applicabilité est problématique en raison de l’inadéquation des normes par rapport aux réalités socio-économiques et culturelles.

B/ Mondialisation et rôle des acteurs sociaux

Au seuil du XXIè siècle, le monde du travail est frappé de plein fouet par les contraintes liées à la mondialisation et à la globalisation des échanges sur fond de libéralisme économique. Cette globalisation voulue par les grandes multinationales ignore partout les spécificités locales et tente d’imposer un modèle standard d’organisation des entreprises et des relations de travail. Partout, la privatisation est associée à une conception patrimoniale de l’entreprise qui laisse peu d’espace d’expression aux travailleurs, ce qui loin d’améliorer la productivité, développe des angoisses et des nervosités. L’entreprise redevient un lieu d’exploitation et d’aliénation où s’exerce un despotisme patronal quasiment sans limite.

Des études récentes [9] montrent largement qu’un tel modèle est rejeté par les travailleurs africains et a donc peu de chances de garantir un développement durable et équilibré. Selon Alfred Mondianagni, « aujourd’hui, il est communément admis, grâce aux progrès même de l’anthropologie, qu’il n’est plus possible de procéder à une analyse isolée des phénomènes économiques. Dans toute tentative de généralisation et de création des modèles, ainsi que dans l’analyse des sociétés en général, des sociétés africaines en particulier, il est nécessaire de tenir compte des dimensions temporelles et spatiales » [10] .

La compétitivité et la cohésion sociale ne doivent pas être vues comme des phénomènes antinomiques mais complémentaires. La cohésion sociale sert la compétitivité. Les travailleurs africains revendiquent le développement mais dans le respect de leur culture et de leur identité. L’entreprise africaine doit être le lieu où on réinvente une nouvelle démocratie sociale, un nouveau projet de société. Car les droits de l’homme et la démocratie ne peuvent se développer durablement que si les différentes couches sociales prennent en main leurs propres destinées notamment sur leurs lieux de travail.

La démocratie politique ne pourra survivre et se développer que si elle est irriguée par une démocratie sociale vivante et fortement ancrée dans les différentes sphères de la société. Pour l’Afrique, un des défis du XXIème siècle, est d’inventer un nouveau contrat social, une nouvelle charte assurant un meilleur fonctionnement de la société en garantissant à tous les chances de prendre part aux décisions importantes et d’accéder aux droits fondamentaux tels que l’éducation, la santé, le logement.

Dans un article fort intéressant, Philippe Lorino fait état de deux sources distinctes de légitimité dans l’entreprise. Selon lui, « l’entreprise prend une responsabilité sociale, de type économique, à l’égard des propriétaires. Par ailleurs, elle engage, dans une activité collective organisée, des individus dont elle exige une certaine prestation de travail, et dont elle conditionne la vie, l’apprentissage et l’avenir professionnel. Elle assure envers eux un deuxième type de responsabilité sociale ; elle leur doit des comptes sur l’usage qu’elle fait du travail et des savoirs qu’ils mettent à sa disposition, notamment pour assurer leur avenir » [11] . L’auteur conclut dès lors à la nécessité d’un rééquilibrage entre ces deux sources de légitimité pour garantir l’implication des travailleurs dans le processus décisionnel.

Selon le même auteur, « tout l’édifice existant de pratiques et de règles, dicté par la vision « contrôleuse » de l’entreprise, est orienté de manière prioritaire vers la gestion des ressources. Il traite les problèmes du travail, d’un côté, sous l’angle du contrôle (éviter le gaspillage), de l’autre, sous l’angle de la protection (éviter les abus, protection de la santé, protection du métier, protection du revenu), mais guère sous celui du pouvoir (…). Il y a donc un besoin de rééquilibrage entre les deux sources de légitimité (…). Ce besoin se présente souvent comme une revendication « démocratique » ou « participative », ce qu’il est de manière tendancielle, puisqu’il vise à accroître et institutionnaliser le pouvoir des salariés (démocratiser) et leur implication dans les processus concrets de décision (participation) » [12] .

En raison des difficultés économiques majeures que connaît l’Afrique, il ne sert à rien d’établir comme par le passé un catalogue de bonnes intentions totalement décalées par rapport à la réalité. Il faut plutôt donner aux différents acteurs les moyens de donner un contenu concret à tous ces droits en négociant sur le terrain selon les réalités nationales, régionales, locales et de l’entreprise. Cela exige de réformer totalement les manières de travailler des organisations syndicales et patronales. Il s’agira de donner plus de pouvoirs et plus d’autonomie aux vrais acteurs que sont les travailleurs à la base, c’est à dire sur les lieux de travail, non pas de façon anarchique mais organisée, au sein de leurs structures syndicales. En d’autres termes, il y a un besoin de re-fondation du syndicalisme africain par rapport au contexte politique, économique et social du moment.

Le syndicalisme africain se trouve à un tournant important de son histoire. Après avoir contribué de manière significative à la lutte pour les indépendances et pour l’émancipation des peuples africains, le syndicalisme africain s’est compromis dans une participation, dite responsable mais peu significative, avec les régimes politiques africains. Dans les années quatre-vingt-dix, dans un sursaut formidable, poussés par leurs bases, les syndicats ont encore une fois contribué au mouvement de démocratisation qui a soufflé sur l’Afrique que ce soit à travers les anciennes centrales (Mali, Zambie, Afrique du Sud) ou des syndicats indépendants (Togo, Côte d’Ivoire).

Aujourd’hui, le contexte démocratique que les syndicats ont contribué à créer ainsi que les licenciements massifs et les diminutions de revenus consécutifs à l’application des programmes d’ajustement structurel ont entraîné un éclatement formidable du mouvement syndical (pluralisme syndical) et une désyndicalisation sans précédent (perte d’adhérents). Les travailleurs sont profondément déçus par les querelles de personnes et les stériles jeux d’intérêts des dirigeants syndicaux qui les distraient des véritables préoccupati
ons des travailleurs [13]. Pendant ce temps, les travailleurs doivent faire face à des défis nouveaux pour lesquels les syndicats ne semblent pas apporter la moindre réponse, ce qui explique cette perte de légitimité.

Par le passé, l’État était le principal interlocuteur des organisations syndicales. C’est à lui qu’elles s’adressaient même pour négocier avec le patronat qui subissait presque sans broncher ses pressions lorsqu’il s’agissait de calmer la situation sociale. Avec la libéralisation poussée de l’économie et le règne de l’État de droit, les gouvernements ne peuvent plus exercer les mêmes pressions sur le patronat . Celui-ci, de plus en plus rebelle, est fortement protégé par un arsenal législatif, un contexte socio-économique et politique, national et international, très favorable.

Sur un plan idéologique, l’approche économique fondée sur une conception patrimoniale de l’entreprise a largement triomphé de la logique sociale sans que les syndicats ne puissent soutenir le lien pourtant réel entre ces deux logiques, justifiant du coup l’exclusion des travailleurs du processus décisionnel. En pratique, des changements profonds se sont opérés dans les relations de travail (précarisation du statut des personnels, modification des horaires de travail) sans que les syndicats n’arrivent à faire entendre leurs voix et à proposer d’autres alternatives tenant compte des besoins des travailleurs. Tout cela entraîne une démobilisation continue des travailleurs du terrain syndical. Pour ré-investir ce terrain, les syndicats doivent être porteurs d’une vision claire qui apporte des débuts de réponse aux interrogations des travailleurs par rapport aux nouvelles législations du travail inspirées fortement par les conceptions néo-libérales.

[1] M. KIRCH, Le droit du travail en Afrique, Tome I, Le contrat de travail, EDIENA, 1987, spéc.. p. 7

[2] J. CARBONNIER, Flexible droit, LGDJ, Paris 1979

[3] Cf. art. 26 du Code du travail du Cameroun, art. 13 du Code du travail du Mali, art.11.3 et suivants du Code du travail de la Côte d’Ivoire.

[4] A. MAHARAUX , L’industrie au Mali, Ed. L’Harmattan, Paris, 1986, p.307 et s.

[5] Ibidem.

[6] A. MAHARAUX, L’industrie au Mali, op. cit ; spéc.. p.74.

[7] Cf. not. Ph. d’IRIBARNE, La logique de l’honneur, Ed. Le Seuil, Paris, 1990 et « Cultures et économie internationale », Revue Futuribles, 1990, n°140

[8] M. KIRCH, op. cit. 1987, p.9

[9] G.KESTER, Comment réussir la participation, Ed. L’Harmattan, Paris, 1999

[10] A.MONDIANAGNI, « Structures sociales et développement rural participatif en Afrique », in La participation populaire au développement en Afrique noire, Études réunies et présentées par A. Mondianagni, PPD, Coll. Karthala, 1984, p.23

[11] Ph. LORINO, « Être citoyen dans l’entreprise », Le Monde Diplomatique, septembre 1991

[12] Ibidem.

[13] G. KESTER et O. SIDIBE, Syndicats Africains : à vous maintenant pour une démocratie durable, Ed.L’Harmattan, Paris, 1997

Ousmane Oumarou SIBIDE

Ministre de l’Emploi, de la Fonction publique et du Travail du Mali Ancien Directeur de l’ENA du Mali

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