Bonne gouvernance, transparence, décentralisation et de manière plus générale, démocratie et respect des droits de l’homme… Tel est le vocabulaire devenu récurrent depuis les années 1990 dans le discours des hommes politiques africains, mais aussi dans les études des juristes et politologues s’intéressant aux problèmes de développement politique et économique de l’Afrique.
Ce brusque intérêt des dirigeants africains aux principes démocratiques et à l’État de droit, loin d’être fortuit, est en réalité provoqué à la fois par une aspiration de plus en plus pressante des populations au respect de leurs droits et libertés fondamentales, mais également et surtout par les bailleurs de fonds, suivis en cela par les pays riches du nord, qui depuis les années 1980, ont lié l’octroi de leurs aides à l’existence, dans les pays qui en seraient bénéficiaires, à un minimum de démocratie dans l’exercice du pouvoir et à une gestion plus saine des deniers publics. Cette « conditionnalité démocratique » apparue ainsi après la guerre froide, a eu davantage de retentissement pour les pays francophones d’Afrique notamment, lorsque le président François Mitterand, dans son discours du 20 juin 1990 à La Baule, l’a brusquement introduite dans la politique africaine de la France jusque là marquée par une opacité et un paternalisme qui ne pouvaient qu’entraîner, à long terme, un discrédit auprès des Africains eux-mêmes et de l’opinion internationale, témoins des importants bouleversements intervenus dans les pays de l’est à la même époque. Le 20 juin 2000, c’est à dire dix ans après le sommet de La Baule, un nouvel accord conclu entre l’Union européenne et les États ACP à Cotonou, vient contribuer à cette nouvelle politique des pays occidentaux et des instances internationales en « renforçant les aspects institutionnels de la conditionnalité démocratique » en Afrique.
Un numéro spécial de la revue « Afrilex » consacré à cette nouvelle donne dans les rapports de coopération entre l’Afrique et l’occident est plus qu’opportun. Après une décennie durant laquelle les pays du tiers-monde semblent s’être résignés à instaurer tant bien que mal des régimes démocratiques dans les territoires où ils exercent leur souveraineté, il nous semble intéressant de faire le bilan de cette conditionnalité de l’aide en Afrique, et tenter de répondre, au moins en partie, à certaines interrogations sur la question et d’en poser d’autres en tenant compte des évolutions qui ont suivi cette nouvelle orientation dans les relations entre les pays du nord et ceux du sud. Des enseignants chercheurs d’Afrique et d’Europe ont entrepris cette tâche et ont étudié les divers aspects que comporte cette conditionnalité politique. Ils nous livrent ici le résultat fort intéressant de leurs investigations.
Ces études ont pris des directions aussi importantes les unes que les autres : la dette des pays pauvres constitue une préoccupation tant pour les Pays les Moins avancés, que pour les pays riches et pour les instances internationales. Si l’annulation d’une partie de cette dette semble s’imposer, elle n’est pas sans contre partie et celle-ci pourrait être bien amère. La conditionnalité démocratique devrait également permettre un meilleur respect des droits de l’homme mais le seul octroi de l’aide n’en constitue pas une vraie garantie. De même, au moment où les États-Unis adoptent une nouvelle politique de coopération africaine de plus en plus réaliste, il est intéressant d’apprécier les relations entre la France et l’Afrique depuis que la conditionnalité en constitue le critère déterminant. À cet égard, on peut souligner une certaine évolution tenant à une relative ambiguïté de la France dans l’élaboration de sa politique étrangère en Afrique, notamment en ce qui concerne l’aide au développement et la coopération économique et politique. Enfin, la conditionnalité en matière environnementale, constitue un domaine d’étude essentiel, depuis que l’écologie est reconnue comme faisant partie intégrante des vecteurs de développement. La diversité de ces analyses ainsi que leur profondeur témoignent de l’intérêt du sujet abordé dans ce numéro spécial.
De toutes ces études, se dégage au moins le constat suivant : l’idée d’une conditionnalité de l’aide pour les pays pauvres, semble être définitivement consacrée dans les esprits comme dans les accords de coopération sous la pression des pays du nord et des instances internationales. Cela s’est fait sans que les États concernés, pourtant souverains, n’aient toujours donné leur consentement tel que cela semble devoir découler du principe de l’égalité souveraine des États contenu dans l’article 2§1er de la Charte des Nations-Unies.
Il faut à la fois respecter l’indépendance des États et veiller à une meilleure effectivité des droits de l’homme en Afrique. Tel est le paradoxe que pose le problème de la conditionnalité démocratique dans les pays en développement.