Le rattachement des régimes matrimoniaux est l’Arlésienne du droit international privé ivoirien en ce que le sujet est toujours évoqué sans que personne ne soit en mesure de fournir une réponse unanime satisfaisante[1]. Objet d’une controverse doctrinale et d’hésitations jurisprudentielles, ce rattachement est caractérisé par son incertitude. Le débat doctrinal s’oriente dans trois directions. Selon un premier courant doctrinal, les régimes matrimoniaux, soumis au statut contractuel, sont régis par la loi d’autonomie[2]. Un second soutient l’inclusion desdits régimes dans le statut personnel et donc leur intégration dans le giron de la loi des effets du mariage[3] quand un troisième, prudent, suspend son jugement dans l’attente d’une décision jurisprudentielle significative consacrant l’une ou l’autre position doctrinale[4]. Ces conflits doctrinaux, consécutifs au mutisme du législateur ivoirien sur les solutions aux conflits de lois[5] qui pourraient se poser au sujet des régimes matrimoniaux, s’accompagnent des errements d’une jurisprudence ivoirienne pauvre[6] et hésitante[7].



[1] Selon le dictionnaire Le petit LAROUSSE illustré 2022, « l’Arlésienne est une personne dont on parle tout le temps et qu’on ne voit jamais » (Dictionnaire Larousse Paris,  2022, p 100). Le terme fait allusion à une nouvelle des « Lettres de mon moulin » de l’auteur français Alphonse Daudet adaptée au théâtre sur une musique de Georges Bizet. Le terme peut être attribué à une chose dont on débat de façon récurrente sans trouver une réponse unanime satisfaisante. C’est dans cette perspective qu’il peut qualifier le rattachement des régimes matrimoniaux en droit ivoirien.

[2] OBLE-LOHOUES (J. A.), « Le régime matrimonial des ivoiriens : premières réflexions sur la loi n° 83-800 du 2 août 1983 relative au mariage », Revue Ivoirienne de Droit (RID), 1984-1985, n° 1-2-3-4, Chroniques de Jurisprudence, p. 59 et EHUI (F. T), Droit des régimes matrimoniaux, des successions et des libéralités, Les éditions ABC, Abidjan, 2014, p. 27. Le premier auteur fait une distinction fondée sur la possibilité ou non, pour des époux, de choisir leur régime matrimonial. Sur ce fondement, Mme OBLE relève que, sous l’égide de la loi ivoirienne relative au mariage de 1964, il ne faisait aucun doute que les régimes matrimoniaux étaient soumis à la loi des effets du mariage puisqu’il n’existait que le seul régime de la communauté réduite aux acquêts qui, en tant qu’effet du mariage, s’imposait aux époux. La situation change en 1983 avec l’émergence du nouveau régime de la séparation de biens. Dès lors, il existe une option de choix du régime matrimonial et l’auteur estime que cette option ne doit être interprétée autrement que comme l’expression du rattachement des régimes matrimoniaux à la loi d’autonomie. Quant à M. EHUI,  il a recours, face au mutisme du législateur de 1964 et de 1983 sur les solutions de conflit de lois affectant un mariage mixte, aux solutions admises en droit international privé français, en l’occurrence, la loi d’autonomie.

[3] LANDRAUD (D.), « Remarques sur le mandat domestique de la femme mariée en droit ivoirien », A propos de l’arrêt n° 91 de la Cour d’appel d’Abidjan du 12 février 1974, RID 1978, n° 1-2, pp. 10-11 et ALLA (K. E.), « Droit international privé ivoirien et famille », Aspects du droit international privé ivoirien au regard des lois civiles de 1964, RID n° 50-2017. M. LANDRAUD a une position ambiguë sur le rattachement des régimes matrimoniaux et plus précisément du régime primaire. S’il estime qu’il serait normal de le rattacher à la loi des effets du mariage, donc au statut personnel, il soutient tout de même que l’inclusion du régime primaire dans la catégorie des lois de police est plus cohérente. M. ALLA convoque deux types d’arguments au soutien de sa position : d’abord des arguments textuels, plus précisément les articles 69 et s. de la loi ivoirienne relative au mariage de 1964 qui saisissent les régimes matrimoniaux comme des effets du mariage et ensuite l’impossibilité pour les époux, sous l’empire de la loi de 1964, de déroger aux règles des régimes matrimoniaux sous réserve de la déclaration orale du choix du régime au moment du mariage et du changement du régime législativement prévu. Il en déduit que la volonté des époux a très peu de place dans l’organisation des régimes matrimoniaux ; par suite, l’application de l’autonomie de la volonté ne peut se justifier en droit ivoirien.   

[4] IDOT (L.), « Eléments d’un droit international privé africain : l’exemple de la Côte d’Ivoire », Revue Juridique Africaine, n°1, 1990, n° 28, pp. 18-19. Après avoir exposé la controverse doctrinale sur le rattachement des régimes matrimoniaux en droit ivoirien, l’auteur rejette une posture doctrinale dans les termes suivants : « Aucune décision consacrant cette thèse n’est toutefois parvenue à notre connaissance ». Par la suite, sa position personnelle ne ressort pas clairement de l’étude.

[5] Au plan du droit international privé, le conflit de lois, au sens de conflit de lois dans l’espace, désigne l’hypothèse dans laquelle plusieurs ordres juridiques ont une compétence concurrence à connaître d’une situation juridique présentant un élément d’extranéité. Le conflit de lois constitue, avec le conflit de juridictions, la nationalité et la condition des étrangers, l’objet du droit international privé.

[6] La pauvreté tant quantitative que qualitative de la jurisprudence ivoirienne en matière de droit international privé est une lacune qui est fréquemment relevée par divers auteurs. V. IDOT (L.), op.cit., n° 6, p. 10. Adde LANDRAUD (D.), op.cit. p. 9.

[7] ALLA (K. E.), op.cit. L’auteur observe que les juges ivoiriens sont hésitants relativement à l’inclusion des régimes matrimoniaux et des successions soit dans le statut familial soit dans une autre catégorie en raison de la divergence de leurs décisions.

KAKALY Jean-Didier

Maître-Assistant, Université Alassane OUATTARA de Bouaké (République de Côte d’Ivoire)