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Situé à la base de l’action administrative, l’intérêt général est également un gage de son adaptation en raison des difficultés à lui donner une définition précise[1].Seule la référence à des buts d’intérêt général peut légitimer, l’utilisation par l’administration des moyens dérogatoires au droit commun, en vue de faire prévaloir cet intérêt commun sur les intérêts particuliers. Elle apparaît dès lorscomme un puits sans fond[2]. Sice thème peut sembler rebattu et son champ labouré inlassablement en France, en Afrique la notion est largement restée en friche. Une définition de l’intérêt général est délicate tant elle est assimilée à d’autres notions,comme l’intérêt public, l’utilité publique, le bien commun. La transcendance de l’intérêt général irradie toutes les notions connexes, la plasticité du terme apparaît au regard de l’évolution de la société en Afrique noire[3].En effet, la notion juridique d’intérêt général est un legs du droit français, reçu en Afrique francophone. Elle puise ses racines dans l’histoire de l’Etat français. Nourri aux sources de la philosophie grecque, le droit romain sera d’un apport décisif dans l’évolution de la notion en l’accolant à celle de la République. Celle-ci va influencer la pensée française.

L’originalité du champ africain vient de l’assimilation de l’intérêt général avec d’autres notions proches[4]etmeten lumière les tendances de l’évolution du droit public africain. Les singularités nationales liées à l’histoire, aux cultures politiques comme aux traditions juridiques retrouvent alors toute leur force dans une telle étude. La doctrine africaniste tend à souligner le lien qui existe entre l’intérêt général et l’ordre politique[5].Il ne suffit pas que les textes instituent une évolution pour que celle-ci devienne effective. Il faut prendre en compte des éléments du contexte qui agissent sur le droit[6]. L’intérêt général n’est pas seulement une idée occidentale que l’on essaie de transposer en Afrique francophone par la greffe coloniale[7] ; mais elle demeure une notion générale et sémantiquement indéterminée. Il n’existe quasiment pas une pensée africaine en la matière. Seuls des concepts apparentés qui ont fait l’objet de développement dans la doctrine. L’intérêt général permet de ce point de vued’étudier l’évolution du droit public africain, la mutation des institutions administratives et leur adaptation au gré des idéologies. Le caractère téléologique de l’intérêt général a conduit à le considérer comme une idéologie, dont le but, a été le fondement de la légitimité de l’Etat. L’étude n’est donc pas seulement liée au champ disciplinaire du droit administratif[8], elle rayonne sur tout le droit public. Les prérogatives exorbitantes qui caractérisent le droit administratif sont déterminées par la finalité d’intérêt général[9], tout comme les immunités dont bénéficient certaines personnes publiques trouvent dans la notion la justification de leur situation[10].

[1] Certains dictionnaires récents de droit public relèvent l’imprécision de la notion. Lire,D. ALLAND et S. RIALS, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy Puf, 2004, p.839 ; A. VAN LANG et alii, Dictionnaire de droit administratif, Paris, A. COLLIN, 2005, p.179 ; M. TOUZEIL-DIVINA, Dictionnaire de droit public interne, LexisNexis 2017, p.236 ; C. SHAEGIS, Dictionnaire de droit administratif, Ellipses, 2008, p.161.

[2] M. DEGUERGUE, « Intérêt général et intérêt public : tentative de distinction », Mél. D.TRUCHET, L’intérêt général, Dalloz 2015, p.131 ; D. BORDIER, « Les chassés croisés de l’intérêt local et de l’intérêt national », AJDA 2007, p.2188.

[3] Le champ géographique de l’étude concerne essentiellement les pays d’Afrique subsaharienne francophone.

[4]D.BOURCIER, Le bien commun ou le nouvel intérêt général, LGDJ-Lextenso, 2013, p.93

[5] J.M PONTIER, L’intérêt général existe-t-il encore ? D.1998. Chon.p.237.

[6]F. DUPUY et J.C THOENIG, Sociologie de l’administration française, A. Collin, Paris 1983, p.89.

[7]D. DARBON, « A qui profite le mime ? Le mimétisme institutionnel confronté à ses représentations en Afrique », in Y. MENY (dir.) Le mimétisme institutionnel, La greffe et le rejet, L’harmattan, 1993, p.114 ; J. De GAUDUSSON, « Le mimétisme post colonial et après », in Pouvoirs, 2009/2, n° 129, pp. 45-55 ;G. HESSELING, « La réception du droit constitutionnel en Afrique trente ans après : quoi de neuf ? », AIDC, 1996, pp.33-48

[8] La notion d’intérêt général apparaît comme la clé de voûte du droit administratif en raison du rapport fusionnel entre intérêt général et service public. Lire, D. TRUCHET, Les fonctions de la notion d’intérêt général dans la jurisprudence du Conseil d’Etat, LGDJ, tome.125, 1977 ; J.M PONTIER, « Qu’est-ce que le Droit Administratif », AJDA 2006, p.1940.

[9] Conseil d’Etat, Rapport public 1999, l’Intérêt général, E.D.C.E n° 50, la documentation française, 1999.

[10] Conseil d’Etat, Bilan d’activité 2013, p.6 ; B. PLESSIX, Droit administratif, 4e édition, 2022, p.630.

Claude MOMO

Agrégé des facultés de droit