« Le droit administratif est l’ombre de l’Etat éclairé par la lumière du siècle. L’ombre varie avec le siècle et ses lumières mais vouloir s’en défaire relève moins du libéralisme que de l’utopie »[1]. Cette affirmation de Jean BOULOUIS trouve un écho dans la tendance actuelle du droit administratif, marquée par la montée en puissance de nouvelles sources, notamment constitutionnelles, internationales et communautaires. Le droit communautaire plus particulièrement touche presque tous les chapitres formant le noyau dur du droit administratif[2]. C’est le cas du droit de la responsabilité administrative, domaine d’affirmation de la spécificité et de l’autonomie du droit administratif[3]. Comme l’ont relevé Jean-Bernard AUBY et Loïc AZOULAI, « le droit administratif de la responsabilité a concédé quelques évolutions non négligeables sous la pression du droit européen. C’est essentiellement du côté de la responsabilité du fait des lois et de la responsabilité du fait des juges que ces évolutions se sont laissées percevoir »[4]. Les systèmes administratifs des pays africains francophones n’échappent pas à ce mouvement de communautarisation. Dans ce sens, Demba SY fait observer que « le droit administratif apparait de plus en plus tributaire du droit communautaire […] »[5]. L’arrêt rendu par la Cour de justice de la CEDEAO (ci-après CJ-CEDEAO) le 31 mai 2023 dans l’affaire KAM Sibiri Eric c/ Etat du Burkina Faso[6] constitue une illustration de l’irruption du droit communautaire en matière de responsabilité administrative[7].
[1] J. BOULOUIS, « Supprimer le droit administratif ? », Pouvoirs, n° 46, 1988, p. 12.
[2] A. A. D. KEBE, « Le déclin de l’exorbitance du droit administratif sénégalais sous l’effet du droit communautaire », Afrilex, 2015, 28 p. ; P. MAMBO, « L’OHADA ou la privatisation du droit public ? », in M. ONDOA et P. E. ABANE ENGOLO (dir.), L’exception en droit. Mélanges en l’honneur de Joseph Owona, L’Harmattan, 2021, pp. 389-404 ; Y. GAUDEMET, « Libres parcours dans droit administratif français aujourd’hui », in Actualités du droit public et de la science politique en Afrique. Mélanges en l’honneur de Babacar KANTE, L’Harmattan-Sénégal, 2017, p. 488 ; J.-B. AUBY, « La bataille de San Romano. Réflexions sur les évolutions récentes du droit administratif », AJDA, 2001, p. 912.
[3] On pense ici à l’arrêt Blanco du Tribunal des conflits du 8 février 1873, qui a affirmé la spécificité des règles applicables à la responsabilité administrative et la compétence du juge administratif pour en connaitre.
[4] J.-B. AUBY (dir.) et L. AZOULAI, L’influence du droit européen sur les catégories juridiques du droit public. Note de synthèse, Mission de recherche Droit et Justice, mai 2009 ; J. MOREAU, « Chapitre IV. La responsabilité administrative », in P. GONOD, F. MELLERAY et Ph. YOLKA (dir.), Traité de droit administratif, Paris, Dalloz, t. 2, pp. 635-636.
[5] D. SY, Droit administratif, Dakar, L’Harmattan-Sénégal, 2021, p. 78.
[6] Arrêt n° ECW/CCJ/JUD/10/2023 du 31 mai 2023, Affaire n° ECW/CCJ/APP/53/20, KAM Sibiri Eric c/ Etat du Burkina Faso.
[7] A. JACQUEMET-GAUCHE, « CHAPITRE III. Responsabilité des États membres pour non-exécution du droit de l’Union », in J.-B. AUBY et J. DUTHEIL DE LA ROCHERE (dir.), Traité de droit administratif européen, Bruylant, 2022, pp. 799-820 ; C. BROYELLE, « L’influence du droit de l’Union européenne sur le régime de la responsabilité administrative », in J. DUTHEIL DE LA ROCHERE et J.-B. AUBY (dir.), Droit administratif européen, Bruylant, 2e éd., 2014, p. 1249.