Introduction

La responsabilité de l’Etat du fait des lois est « un produit de luxe » dont le juge « ne se sert pas tous les jours »[1]. Il s’agit d’un régime qui est demeuré résiduel[2]. En fait, elle renvoie à une hypothèse non seulement, extrêmement rare[3] mais aussi longtemps écartée. Initialement, l’Etat bénéficiait d’une irresponsabilité admise comme le corolaire de la souveraineté[4]. C’est l’application de l’adage britannique selon lequel « La couronne ne peut mal faire »[5] ! Bien que la thématique fût classique, la réflexion doctrinale y relative n’a pas été constamment renouvelée[6]. Dans de nombreux pays, particulièrement ceux de l’Afrique francophone, elle n’a même pas encore été suffisamment mise en lumière. D’où notre choix de réfléchir sur le thème : « La responsabilité de l’Etat du fait des lois au Bénin, au Burkina Faso et au Sénégal ».

Parler de responsabilité de l’Etat du fait des lois ne relève pas du paradoxe bien que la loi soit une émanation du parlement. Au niveau national, seul l’Etat, pris dans sa globalité, détient la personnalité juridique et répond des agissements des pouvoirs constitués[7]. En effet, la notion renvoie à la théorie de la responsabilité extracontractuelle de la puissance publique qui postule que l’activité des personnes publiques peut entrainer des dommages pour les administrés[8]. Elle donne lieu à un ensemble de mécanismes qui font supporter à l’administration les conséquences dommageables de ses actes ou de ses abstentions[9]. Elle offre en quelque sorte une réparation aux effets de la « maladministration », lorsque ceux-ci préjudicient à des victimes[10]. La responsabilité de la puissance publique est normalement liée à la faute, mais il est de plus en plus fréquent qu’elle soit admise en l’absence d’une faute[11]. C’est l’hypothèse de la responsabilité sans faute qui est fondée soit sur le risque[12] soit sur la rupture de l’égalité devant les charges publiques[13]. La responsabilité de l’Etat du fait des lois relève de cette dernière catégorie. A l’origine, elle est donc une responsabilité sans faute de l’Etat basée sur une rupture d’égalité devant les charges publiques causée par son activité législative[14].

[1] R. CHAPUS, Droit administratif général, tome 1,15e éd., Montchrestien, coll. Domat droit public, 2001, p. 1380.

[2] C. BROYELLE, La responsabilité de l’Etat du fait des lois, LGDJ, Bibl. dr. pub., tome 236, 2003, p.2

[3] F. SCHUBERT et P. COSSALTER, « La responsabilité du fait des lois inconstitutionnelles ou inconventionnelles en Allemagne », RFDA, Les panoramas des revues Dalloz, Les grands dossiers 2019, p. 104.

[4] J. WALINE, Droit administratif, 27e éd., Paris, Dalloz, coll. Précis, 2018, p. 541.

[5] Ibid.

[6] Le sujet de la responsabilité de l’Etat du fait des lois n’a pas été complètement abandonné. Toutefois, le nombre d’études relatives à ce thème était beaucoup moins important qu’avant la Seconde Guerre mondiale, par exemple, il est possible de citer les articles suivant : C. CHAUMONT, « La responsabilité extra-contractuelle de l’Etat dans l’exercice de la fonction législative »,  RD publ., 1940, p. 200 ; E. SAYAGUES LASO, « Responsabilité de l’Etat en raison des actes législatifs », Livre jubilaire du Conseil d’Etat, 1952, p. 619 ; J. KAHN, « L’évolution de la jurisprudence relative à la responsabilité de l’Etat du fait des lois », ECDE, 1962, p. 63. Cf. T. DUCHARME, La responsabilité de l’Etat du fait des lois déclarées contraires à la Constitution, Paris, LGDJ, 2019, p. 3.

[7] J. VELU, Droit public, tome 1, Bruxelles, Bruylant, 1986, p. 50.

[8] S. YONABA, Droit et pratique du contentieux administratif au Burkina Faso, 4e éd., Ouagadougou, Presses universitaires, décembre 2020, p. 320 ; Y. GAUDEMET, Traité de droit administratif, tome 1, 16e éd., LGDJ, 2001, p. 777.

[9] K. DOUMBIA, Le contentieux administratif malien, L’Harmattan, 2020, p. 591.

[10] H. BELRHALI-BERNARD, « La responsabilité administrative ici et ailleurs : passerelles, clefs et pistes », RFAP, n°147, 2013/3, p. 562.

[11] J. WALINE, Droit administratif, op. cit., p. 563.

[12] P. MOUDOUDOU, Droit administratif congolais, L’Harmattan, 2003, p. 42.

[13] J. WALINE, op. cit., p. 577.

[14] E. LAFERRIERE, Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux, Paris, Berger-Levrault, t. 2, 1896, p. 12.


L’intégralité de la contribution

ZOMA Lassané

Assistant à l’Université Thomas SANKARA (Burkina Faso), Membre du Groupe de Recherche sur l’Administration, les Institutions et le Fonctionnement de l’Etat (GRAIFE).

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