Où va le droit du travail en Afrique ? Comme partout ailleurs dans le monde, des adaptations importantes, parfois de profondes mises en cause, sont en cours. Qu’est-ce qui conduit spécifiquement – ou devrait conduire – les évolutions des droits du travail africains ? En quoi le droit positif se révèle-t-il inadapté aux réalités économiques sociales ou culturelles, en quoi reste-t-il une réponse pertinente en termes de régulation économique et sociale, de protection des droits de la personne au travail ?

La revue Afrilex avait appelé à contributions en proposant quelques pistes de réflexions pour susciter échanges et débats. Le souhait n’était en rien de constituer une compilation de normes officielles et de discours « politiquement correct » à destination d’experts ou d’institutions internationales. Pour le moins, les contributions retenues par Afrilex font écho à cette démarche initiale ; elles témoignent de différences significatives d’approche, de riches inquiétudes dans l’analyse comme de grande liberté de proposition. L’ensemble des contributions retenues ont cependant en commun d’insister « en préalable » sur le poids de l’histoire.

La discussion sur la place du droit du travail en Afrique ne peut passer sous silence ses origines, nous rappelle Augustin EMANE, même s’il n’est pas question d’occulter la présence de phénomènes juridiques en Afrique pré-coloniale, le droit du travail demeure avant tout un « droit importé ». Certes, pendant une bonne partie de la période coloniale, il n’y a pas eu de véritable législation du travail, la traite des nègres et le travail forcé constituant même une négation du droit du travail, comme le souligne Ousmane SIDIBE. Les premiers textes de droit du travail significatifs ne seront adoptés qu’à partir des années trente et surtout après la seconde guerre mondiale. La plupart d’entre eux auront d’ailleurs pour finalité l’organisation du recrutement de la main-d’œuvre et, accessoirement, sa protection.

Dans les pays francophones, il faudra attendre 1952 et le Code du travail des Territoires d’Outre-Mer pour voir les colonies dotées d’une législation du travail relativement protectrice. Dans les colonies anglaises et belges, chaque territoire sera pourvu, toujours après la seconde guerre mondiale, d’un texte spécifique plus ou moins inspiré des textes métropolitains. Ainsi, après les Indépendances, chaque pays sera pourvu d’un code, quasi-copie du texte colonial. Pourtant, nous dit Joseph ISSA-SAYEGH, ces codes du travail seront perçus comme de véritables conquêtes contre le pouvoir et le patronat coloniaux et connaîtront des évolutions nationales au gré des options politiques prises par chaque État. L’ensemble des droits du travail des pays d’Afrique noire francophone auront cependant en commun, comme le souligne Augustin EMANE, de poursuivre un objectif, celui de conduire le pays sur la voie du progrès. Échec ou mirage, les politiques d’ajustement structurel sont passées par là. Leur impact sur le droit du travail est indéniable (1). La mondialisation paraît leur apporter un second souffle, posant de façon particulièrement ambivalente la question des droits fondamentaux (2). Comme ailleurs, le droit du travail semble condamner à se réformer pour subsister. Mais comment réformer ? Il y a manifestement là des choix d’orientation, des enjeux d’acteurs et de méthode (3), la négociation collective constituant pour le moins une voie incertaine (4).

1. L’indéniable impact des politiques d’ajustement

Les pays africains, singulièrement sub-sahariens, se retrouvent, au début des années 1980, dans un environnement international marqué par une profonde crise économique et financière. Ils sont surendettés au moment même où baissent les prix des matières premières perdant ainsi des possibilités de faire face durablement au service de leur dette extérieure. À ces facteurs économiques s’ajoute, pour Moussa SAMB, une omniprésence d’un État dans tous les secteurs de la vie économique et sociale, se traduisant en particulier par des politiques salariales imposées d’en haut, la prééminence d’un droit étatique du travail et le gel des négociations collectives.

« La solution » aux problèmes de l’Afrique semble trouvée, au début des années 1980, dans les programmes d’ajustement structurel, outils favoris de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire International. Les pays africains vont alors, selon l’expression d’Augustin EMANE, devoir « s’inspirer de ce qui se fait chez les bailleurs de fonds à savoir le libéralisme ». Là est le discours.

La méthode est quant à elle plutôt dirigiste et les effets particulièrement amers pour des pays peu préparés à la thérapie retenue. C’est ainsi que les créanciers n’interviendront que, sous réserve de l’acceptation d’un certain nombre de conditions, censées permettre l’assainissement des finances publiques (réduction des dépenses des services sociaux, dévaluation de la monnaie, ouverture du « marché domestique », …)

L’ensemble des programmes de restructuration ont alors prôné une plus grande flexibilité dans la gestion des droits des travailleurs et une libéralisation des normes de travail. Les politiques d’ajustement vont ainsi, avant tout, cibler les modalités d’embauche (possibilités données de recours au contrat de travail à durée déterminée, à l’emploi temporaire,…) et les conditions de rupture (recours fréquent aux départs négociés, suppression des autorisations administratives des licenciements économiques). Qu’elles l’aient souhaité ou non, ces politiques vont conduire notamment au passage du secteur formel vers le secteur informel d’un nombre important de petites et moyennes entreprises.

Pour les organismes financiers internationaux, l’échec de l’Afrique est celui des régimes dirigistes. La faillite de l’Afrique est le fait des dirigeants africains. Cette approche quelque peu réductrice, rappelée par Augustin EMANE, lui permet de souligner combien l’échec de l’État en Afrique est celui d’une conception de l’État. Moussa SAMB, quant à lui, préfère insister sur le fait que la politique économique imposée par les institutions financières internationales consacre « l’hégémonie absolue de l’économique et la remise en cause des politiques protectrices socialisantes de l’État ». De fait, la mise en œuvre des plans d’ajustement structurel a eu parfois des conséquences désastreuses sur le plan social, la réduction des salaires touchant non seulement les travailleurs concernés mais aussi les nombreuses personnes que leurs rémunérations font vivre.

Sur un plan plus théorique, les plans d’ajustement se sont intégrés, qu’ils l’aient souhaité ou non initialement, dans une approche de réduction de l’influence du droit du travail, le marché devant être le seul régulateur, l’intervention de l’État dans les relations de travail devant être limitée au strict minimum. L’État n’est d’ailleurs pas le seul acteur du droit du travail et des relations professionnelles mis en cause par les politiques d’ajustement structurel. Les grands secteurs traditionnels du mouvement syndical africain ont été déstabilisés par la crise et par les réponses apportées. Ousmane SIDIBE, Paul-Gérard POUGOUE et Jean-Marie THAKOUA indiquent combien les faillites des grandes industries, la privatisation des entreprises publiques et le dévelop
pement du secteur informel se sont traduits par une perte d’adhérents, combien la précarisation du travail a achevé de créer un climat peu propice à l’organisation syndicale, aux revendications et luttes sociales. Dans un tel contexte d’affaiblissement des acteurs sociaux, Moussa SAMB signale toutefois l’apparition, au milieu des années 1980, de nouvelles figures tels les « syndicats autonomes » dans le secteur public ou bien encore les associations de solidarité de travailleurs dans les entreprises et dans les quartiers.

2. L’invocation ambivalente des droits fondamentaux

Au fur et à mesure du développement des politiques d’ajustement structurel, une nouvelle justification semble s’être imposée, celle de répondre aux enjeux de la mondialisation de l’économie. Augustin EMANE souligne combien le concept de mondialisation a rencontré un vif succès en Afrique. Alors même qu’un bémol était mis sur les appels à la déréglementation en Europe, il s’inquiète « qu’une fois de plus l’Afrique soit en retard d’un débat ». La libéralisation du commerce international, la mondialisation des marchés financiers et l’intervention des multinationales sur les marchés nationaux bouleversent-elles effectivement l’intégralité des économies et systèmes nationaux ?

En tous cas, pour Ousmane SIDIBE, la globalisation de l’économie s’accompagnerait partout d’une volonté d’ignorance des spécificités locales et d’imposition d’un modèle unique d’organisation des entreprises et des relations de travail. Peu d’espace d’expression serait laissé dans un tel contexte aux travailleurs ce qui, loin d’améliorer la productivité, développerait « des angoisses et des nervosités ». Parce que ce modèle « ne saurait être que rejeter par les travailleurs africains », il n’aurait que peu de chances de garantir un développement durable et équilibré. Il devrait se faire, pour Ousmane SIDIBE, dans « le respect de la culture et de l’identité ».

N’entrant pas dans de telles considérations, Joseph ISSA-SAYEGH définit, pour sa part, l’ajustement structurel comme « l’adaptation des structures juridiques, administratives, économiques et sociales en vue d’assurer les impératifs économiques de production, de concurrence et de développement des entreprises dans le contexte d’une économie planétaire et d’échanges commerciaux mondialisée ». Mais le même auteur souligne, par ailleurs, combien la faiblesse des syndicats face aux ajustements structurels et à la mondialisation de l’économie « doit être compensée par l’adoption de normes minimales protectrices en matière sociale ».

Des normes minimales ou fondamentales ? Ne voit-on pas sous l’effet des « réajustements » ou de la mondialisation de l’économie, en Afrique comme ailleurs, surgir ou réactiver, de façon souvent ambivalente, la problématique des droits fondamentaux. On sait que le 18 juin 1998, la Conférence Internationale du Travail a adopté une Déclaration relative aux principes et droits fondamentaux au travail. On entendait alors « concilier le souci de stimuler les efforts de tous les pays pour que le progrès social accompagne le progrès de l’économie avec celui de respecter la diversité des situations, des possibilités et des préférences de chaque pays ». Il était toutefois précisé que les membres de l’OIT, même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les conventions en question, ont l’obligation de respecter « les principes fondamentaux qui sont l’objet desdites conventions, à savoir : la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective, l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire, l’abolition effective du travail des enfants, l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession ». Sur ces questions, quelles évolutions sont en cours en Afrique ?

Pour Ousmane SIDIBE, un des défis du XXI ème siècle est d’inventer « un nouveau contrat social, une nouvelle charte assurant un meilleur fonctionnement de la société en garantissant à tous les chances de prendre part aux décisions importantes et d’accéder aux droits fondamentaux tels que l’éducation, la santé, le logement ». Mais, qu’en est-il des droits fondamentaux au travail ? Leur invocation témoigne-t-elle d’un souci d’effectivité du droit ou d’une logique d’abaissement des droits dans une perspective de compétition économique ?

Vu d’Afrique est-il si facile de répondre sans tomber dans un nouveau piège occidental ? Lors des discussions au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce relatives à l’insertion d’une clause sociale dans les accords commerciaux, les pays africains s’étaient montrés particulièrement hostiles à l’établissement d’un lien entre commerce et normes fondamentales du travail, ce type de clause étant officiellement analysé comme avant tout protecteur des intérêts des pays développés. Seul à aborder frontalement cette question, Moussa SAMB estime pour sa part que par delà l’adoption ou la ratification de normes protectrices, les États africains développent en réalité le plus souvent une « politique hostile au mouvement syndical », adoptant notamment des règles restrictives à l’exercice du droit de grève, contraires aux normes des conventions n° 87 et 89 de l’OIT, pourtant adoptées et ratifiées par ces mêmes États. Par ailleurs, à propos du travail des enfants, l’argument avancé par les décideurs africains serait « qu’une application des normes internationales ou internes relatives à l’abolition du travail des enfants, risquerait de détériorer encore plus la situation des enfants, en les privant de leur travail sans leur offrir une scolarisation ou une formation, et en réduisant ainsi le revenu de leurs familles ». De fait, en raison notamment de l’urbanisation et de la crise du système éducatif, le problème de l’abolition du travail des enfants passe, pour Moussa SAMB, par delà les éventuelles politiques volontaristes, par l’aide au développement des États africains. Enfin, le même auteur note combien les femmes apparaissent, un peu partout en Afrique, « comme les principales victimes mais aussi les plus actives résistantes à la crise et à la désintégration économique ».

Il peut être paradoxal d’observer que cette « désintégration économique », vécue au niveau micro-social, s’accompagne depuis plusieurs années d’appels à l’intégration économique des pays africains. Comme le souligne Augustin EMANE, « la mondialisation implique également une harmonisation des différentes législations ». Mais, nous sommes ici dans une autre interrogation, celle de savoir comment réformer les droits du travail africains.

3. Réformer le droit du travail mais comment ?

Parallèlement à la vague d’ajustement structurel, un mouvement d’uniformisation du droit des affaires destiné à réaliser l’intégration juridique dans un espace d’intégration économique s’est développé. Joseph ISSA-SAYEGH considère qu’il existe une tendance récente mais bien réelle à inclure le droit du travail dans les processus d’harmonisation du droit des affaires. Il convient, pour lui, de se poser deux questions : est-il pertinent de créer un droit social régional ? Est-il pertinent de régionaliser tout le droit social ? Tous les éléments pour une régionalisation du droit du travail seraient en réalité déjà réunis : « Le droit de la sécurité sociale se trouve harmonisé par la conjugaison de la ratification de la plupart des conventions de l’OIT, par une convention générale de sécurité sociale (OCAM) et par la création récente d’une organisation internationale (CIPRES). Le droit du travail, lui aussi, se trouve harmonisé par la combinaison de plusieurs fa
cteurs : l’héritage du Code du travail des Territoires d’Outre-Mer de 1952 ; la ratification de plusieurs conventions de l’OIT ; la réforme convergente des codes du travail sous la pression des bailleurs de fonds dans le cadre de l’ajustement structurel qu’il s’agit de compléter et de renforcer ».

Le propos est ici non pas de dénoncer les réformes intervenues mais de dire combien elles ont été timorées, combien et comment il est possible de les mener plus loin. Pour Joseph ISSA- SAYEGH, le choix des normes à uniformiser doit être fait en fonction de quelques objectifs. Parmi ces derniers vient tout d’abord la « libération des forces de négociation collective » ; il s’agirait d’introduire une obligation de négocier, d’élargir le contenu de la convention collective, de réhabiliter la convention d’entreprise ou d’établissement et de reconnaître le rôle original de la convention collective nationale interprofessionnelle. Puis on devrait s’attacher à améliorer la flexibilité du marché du travail d’une part en abolissant les restrictions concernant les travailleurs étrangers ne serait-ce qu’en termes de non discrimination, de liberté de circulation et d’établissement des personnes, d’autre part en libérant les salaires sans toutefois en arriver à une « suppression de cet indice de référence qu’est le SMIG ». Enfin, on devrait poursuivre la flexibilité de l’emploi en facilitant le recours au contrat à durée déterminée, en reconnaissant le chômage technique et en assouplissant partout la procédure de licenciement pour motif économique.

Pour Ousmane SIDIBE, outre le fait que les résultats des politiques de flexibilisation du droit du travail « semblent mitigés, voire décevants », les réformes des législations du travail doivent non seulement prendre en compte les nouvelles réalités économiques et sociales mais aussi refléter la culture africaine. Ainsi, en matière de durée et d’organisation des horaires de travail, la législation ne tiendrait pas compte d’une « prédominance des activités extra salariales (maraîchage, artisanat, …) visant à procurer un complément de revenu. Prendre en compte ce fait serait conforme au droit traditionnel africain dans lequel la durée du travail peut être relativement longue mais souple, tout simplement parce que les relations de travail coutumières seraient « fondées sur la confiance réciproque, la solidarité et un certain code d’honneur ».

Rappelant que dans la culture africaine, « les obligations du travailleur vis-à-vis de l’entreprise ne sont pas au dessus de ses devoirs vis à vis de la société », Ousmane SIDIBE souligne que « le chef d’entreprise est assimilé à un chef tout court, c’est à dire à un bienfaiteur ». C’est pourquoi, « le travailleur n’hésitera pas à solliciter son assistance même pour des problèmes personnels. Si l’employeur s’en désintéressait, le travailleur pourrait considérer ce comportement comme une violation du contrat de travail ». Dans le même ordre d’idées, le travailleur africain comprendrait très mal l’absence de l’employeur lors d’un décès, d’un baptême ou d’un autre événement social majeur. De même, il considérerait comme totalement injustifiée une sanction pour absence ou retard causé par l’un de ces événements.

Contrairement à ce qui s’est passé le plus souvent dans les pays africains où les réformes des codes du travail ont été menées quasi exclusivement par des juristes qui ont privilégié les aspects purement techniques, pour Ousmane SIDIBE « le temps est venu de précéder de telles réformes par de grandes enquêtes ». Celles-ci devraient être menées par des « équipes pluridisciplinaires ». Il s’agirait d’une part de recenser les problèmes spécifiquement africains, non pris en compte par les codes du travail d’inspiration occidentale, et d’autre part l’inadéquation de certaines normes de droit positif aux réalités socio-économiques et culturelles.

4. La voie incertaine de la négociation collective

En écho aux désirs, exprimés par Joseph ISSA-SAYEGH, de libération des « forces nationales de négociation collective », Paul-Gérard POUGOUE et Jean-Marie TCHAKOUA disent leurs espoirs et leurs inquiétudes quant à cette voie incertaine de réforme des droits du travail africains. Tout en tenant « pour un précieux acquis la volonté législative de s’orienter vers un droit du travail plus négocié », ils soulignent combien « en dépit des apparences longtemps entretenues », la négociation collective n’est encore qu’un « projet », combien en particulier elle est « aux prises avec le droit de propriété » et doit faire face à « une longue tradition paternaliste du législateur », tout en risquant de devenir le nouveau vecteur et l’alibi de « l’aggravation de la précarité ».

En réalité, s’aventurer sur la voie de la négociation collective peut très vite conduire, pour Paul-Gérard POUGOUÉ et Jean-Marie TCHAKOUA, à un constat amer, celui du « grand dénuement » des organisations syndicales de travailleurs tant du point de vue qualitatif (compétences techniques, connaissances économiques et financières,…) que quantitatif (organisation interne et présence sur le terrain). Plus encore, « le pluralisme retrouvé pose un crucial problème que le long monolithisme syndical avait occulté : la question de la représentativité syndicale ». La « négociation » de mesures alternatives au licenciement pour motif économique est un exemple caricatural de l’enregistrement de l’inexistence de l’acteur syndical ou de l’acteur salarié dans la négociation. On peut alors se demander avec Paul-Gérard POUGOUÉ et Jean-Marie TCHAKOUA si le législateur, promoteur de la négociation collective, n’a pas, plutôt que des droits nouveaux, « servi de la fausse monnaie aux travailleurs » ?

Ousmane SIDIBE préfère répondre en recourant manifestement à l’optimisme de la volonté, quitte à surenchérir dans l’espoir mis dans la voie de la négociation. Il faut, pour lui, permettre aux différents acteurs d’avoir les moyens de donner un contenu concret aux droits reconnus, en négociant sur le terrain, selon les réalités nationales, régionales, locales ou d’entreprise. Pour cela, il faut d’une part réformer totalement les manières de travailler des organisations syndicales et patronales, et d’autre part donner plus de pouvoirs et plus d’autonomie « aux vrais acteurs que sont les travailleurs à la base ».

Loin de l’inquiétant constat de Paul-Gérard POUGOUE et Jean-Marie TCHAKOUA, Ousmane SIDIBE en appelle à une refondation du syndicalisme africain au regard du contexte politique, économique et social du moment. Le syndicalisme africain serait à un tournant important de son histoire. Après avoir historiquement contribué à la lutte pour les Indépendances, il se serait compromis dans une « participation dite responsable » avec différents régimes politiques. Pourtant, dans les années quatre-vingt-dix, poussés par leurs bases, les syndicats auraient à nouveau contribué au mouvement de démocratisation que ce soit au travers des anciennes centrales syndicales (Mali, Zambie, Afrique du Sud) ou des syndicats indépendants (Togo, Côte d’Ivoire). Sur la lancée, les syndicats devraient, pour Ousmane SIDIBE, réinvestir le terrain en étant porteurs d’une vision claire et de réponses aux questions soulevées par les nouvelles législations du travail d’inspiration libérale. De telles perspectives ne peuvent qu’être saluées. Toutefois, si l’on souhaite un acteur syndical re-dynamisé pour vitaliser la négociation et le droit du travail, encore faut-il une autre partie à la négociation. On ne peut ici qu’être marqué par le quasi-silence fait autour de l’acteur patronal. Pense-t-on développer la négociation collective avec les pouvoirs publics ou bien au seul
niveau de l’entreprise, là où la dépendance salariale joue à plein ?

***

Les politiques d’ajustement structurel sont à l’origine des réformes en cours depuis les années 90 en Afrique tout comme les phénomènes de régionalisation voire de mondialisation de l’économie. En revanche, les processus de transition démocratique n’ont semble-t-il pas, en tant que tels, suscités de réformes du droit du travail.

Sur un plan strictement normatif, les modifications intervenues ont concerné les formes d’emploi et les modes de rupture sans induire de véritables innovations techniques, fondées ou non sur des spécificités africaines. L’accent mis sur la négociation collective paraît s’inscrire plus dans un discours de mise en cause d’un droit étatique rigide que dans une pratique de la liberté d’association et de négociation. Le droit des rapports collectifs semble ainsi, par bien des aspects, demeurer un projet.

Si les politiques d’ajustement structurel consacrent, d’une certaine façon, l’échec d’une forme d’État africain, l’État n’est pas absent du processus de changement, d’abord par les réformes qu’il adopte, ensuite par une présence subsidiaire mais souvent réelle de l’administration du travail, enfin par le rôle qu’il peut jouer dans la mise en relation, en action d’autres acteurs au premier rang desquels les organisations professionnelles et syndicales. De nouveaux acteurs semblent apparaître dans certains pays, indiquant soit des réactions de rejet aux réformes (syndicats autonomes) soit des modes d’accompagnement fondés sur la tradition de solidarité (association de femmes, de quartier). Reste l’interrogation sur la pertinence et l’efficacité de l’intervention d’institutions financières internationales (Banque mondiale et FMI) et l’hypothèse, restée en jachère, de formes de solidarités internationales institutionnalisées.

L’espace du droit du travail entendu classiquement (occidentalement ?) est indéniablement attaqué alors que ce droit connaissait déjà une ineffectivité considérable. Plusieurs auteurs soulignent combien les programmes d’ajustement se soldent par une « informalisation » croissante des économies africaines, c’est dire clairement la réduction de l’influence du droit du travail. Faut-il voir là un indice africain de la fin du droit du travail annoncée en Europe par certains, ou bien une expression du caractère toujours décalé de ce droit importé, écrit, rigide, éloigné d’une bonne partie de la culture africaine ? Si tel était le cas, il resterait à ouvrir un grand chantier… celui de l’invention d’un droit du travail plus africain.

Philippe AUVERGNON

Directeur du COMPTRASEC (UMR CNRS) Centre de Droit comparé du Travail et de la Sécurité sociale Université Montesquieu - Bordeaux IV

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